"L'Obsession du campement
[ catégorie : lectures ]
" Le nomadisme et le baroque ont en commun la perte du centre.
Des taches sont observées sur le soleil, on en déduit quil est impur et participe de la matière. La trajectoire céleste ne décrit pas un cercle, mais une ellipse. Pour Le baroque, il ny a plus de précellence du centre, mais son altération et son dédoublement.
Le nomadisme sest révolté contre le centre, ou bien la oublié. La mémoire sest perdue, ou bien sest effritée, éparpillée en quelques réticules, çà et là.
Le nomadisme a perdu le centre comme on perd son origine et son appartenance, il sest révolté contre lui comme on se rebelle contre la cité, avec ses cercles concentriques dépendants du palais-araignée qui contrôle sa toile : ses domaines.
Pour le nomadisme, il ny a aucune forêt domaniale ni aucun pré cadastré au monde. Rien nest régi, aucun espace, si ce nest par ses propres mouvements, les mouvements du nomade qui, à eux seuls, suffisent à décrire leur espace de mouvance.
Pour le baroque, tout bascule ; le propre du centre devient le figuré de son double, il est pris dans le processus de son dédoublement, dans cette machinerie qui le coupe sans le couper, où il ne sait se décider ni pour un centre ni pour l'autre.
L'apparente errance du baroque n'est que cette indécision à opter pour un centre, à s'y ordonner, à s'y structurer, dès lors que celui-ci s'est dédoublé. Ce va-et-vient, ce ni oui ni non n'a de l'errance que le mouvement perpétuel. En vérité il se meut comme un pendule à l'intérieur d'une cage de verre : simples variations d'amplitude par rapport à un axe. Le baroque n'a rien perdu, fausse perte, il reste lié au centre : il suit la maladie d'un centre malade. Le mouvement du nomadisme est une perpétuelle ablution pour se purifier. Le nomade qui marche va vers la pureté et la pureté n'est pas son but, comme ce voyageur qui parcourt le chemin pour atteindre telle ville, telle montagne, tel rivage. Il est son effet, sa dépouille perpétuellement remise sur ses épaules, perpétuellement à mettre à bas, sur le chemin, avec sa sueur.
Cette inquiétude qui ne le lâche pas soutient le nomade dans sa marche. Elle est la recherche du dénuement, son présupposé, déjà donné une fois pour toute, à la fois terreau et destin. Elle est l'inverse du baroque, la nudité recherchée, trouvée, puis encore insatisfaite d'elle-même (elle est l'insatisfaction pour la nudité, non pas pour le foisonnement).
Or dans ce mouvement de fuite, dans cette haine du centre qui souille, apparaît parfois ce qui sous-tend en secret tout nomadisme : l'obsession du campement.
Ce point précaire, ce centre frêle, ce feu ténu, bientôt ce cheveu de fumée vague.
Ce stage. Cette station assise, en vérité station debout, cette pose sur un pied.
Le besoin de la recollection, les racines, mais amères.
Alors de la perte du centre, de la révolte contre lui, de son oubli, naît un centre neuf, intact dans sa précarité.
C'est le centre fragile du campement. Ni les taches solaires, ni l'ellipse ne peuvent le pervertir. Toujours neuf, il disparaît et resurgit en son entier, lors de la halte d'une étape. Les nomades y sont en paix, ils y préparent à chaque fois la paix dans leur course. Conciliant l'obsession et la paix. Obsédés par le campement, s'installant dans sa paix, alors qu'ils vont. "
Daniel Klebaner, LAdieu au baroque, (1979, NRF Gallimard, p.26)
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